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pensais commencer en parlant uniquement de mon travail, établissant
pour ainsi dire une espèce de mode d'emploi ou de glossaire,
mais il m'a paru plus sensé de parler aussi de certaines
de mes idées sur le monde, principalement pour que ceux qui
désirent comprendre mes oeuvres puissent aussi comprendre
une partie du concept qui inspire leurs réalisations.
A
travers les siècles et dans toutes les civilisations, sans
distinction de race ou de croyance, des scribes et copistes, silencieux
et attentifs, aux mains habiles, fidèles et patientes, nous
ont transmis avec leurs instruments de calligraphie, des textes
sacrés, faits historiques, histoires d'amour et de poésie,
légendes inoubliables, traités de paix, sciences et
lois. Ce sont là les piliers de la connaissance humaine,
des clés d'accès à la connaissance nécessaires
pour comprendre notre existence, pour que, l'il attentif devant
de beaux manuscrits du passé, nous puissions préparer
les lendemains ou voyager dans un monde de rêves... même
pour quelques instants.
C'est
avec des réflexions de ce genre qu'un jour, tandis que je
contemplais certains de ces manuscrits il y a plusieurs années,
je décidais de me lancer dans le voyage de retour au passé
(mais sans retour) que je réalise aujourd'hui, entre le réel
et l'imaginaire, au travers de la connaissance humaine dans toutes
ses époques; en réécrivant ce qui a déjà
été écrit, en retraçant les idées
passées mais marquantes pour moi, en repensant ce qui fut
déjà pensé, en cherchant à ressentir
en moi même les mêmes sensations que mes prédécesseurs
avaient pu ressentir, non sans une certaine nostalgie. Je navigue
sans fin par des dizaines de textes, je m'aventure entre les phrases,
parfois sans les ressentir immédiatement, mais après
une profonde réflexion je me sens en présence d'une
sagesse supérieure qui me donne le sentiment d'être
un enfant avide de savoir.
Et
comme j'ai des doutes sur tout dans la vie, y compris sur moi-même
et sur mes limites, je me considère curieux de comprendre
l'inconnu pour découvrir les autres versions de notre existence,
comme j'aimerais connaître les divers aspects d'une même
question, les secrets de cette vie, je plonge dans le passé
à travers les manuscrits, les livres, cherchant à
tout découvrir en eux, tous les détails ; recopiant
les questions, les énigmes, les réponses ; transcrivant
les pensées d'autres plus audacieux que moi. Et comme je
ne sais pas si j'ai beaucoup d'années de vie devant moi -
je crois que lorsqu'on ne pense pas à la mort on est irresponsable
avec la vie, oubliant de réaliser des projets dignes de notre
passage sur cette planète - j'occupe mes journées
penché sur des livres et leurs textes parfois longs mais
envoûtants ; oui je m'y plonge de manière intense,
attentive et pleine d'intérêt. Je les fixe de mes yeux
tranquilles : contexte après contexte, ligne après
ligne, je m'alimente peu à peu du savoir qu'ils me transmettent,
je les absorbe en cherchant ainsi à sentir l'essence de ces
époques et de leurs idées, cherchant à appliquer
certains des enseignements passés à la réalité
d'aujourd'hui, de mon temps, ou bien je me transporte en imagination
pour ensuite représenter ces idées à travers
mes uvres.
Ah!
Tous ces manuscrits préservés jusqu'à aujourd'hui,
textes qui se sont transformés en clés ; clés
qui sont de grands mystères ; mystères qui se révèlent
quand nous les analysons en profondeur ; véritables lettres
ouvertes et exposées aujourd'hui à la vue de tous,
qui conservent de grandes histoires.
Tout
ceci me fascine, implique tout mon corps, toute mon âme, tout
mon temps. Tous ces textes, ces beaux textes, je les cherche, fasciné
par tous ces lieux où ils ont encore leur espace et je les
admire, je les transcris : en français, en latin, en portugais,
en anglais, en hebreu, en... les comparant les uns aux autres, tentant
par mes réflexions de me mettre au côté de leurs
auteurs pour comprendre leur élaboration ; je fais ceci sans
me préoccuper de l'heure, comme si le temps était
ma demeure, mon seul lieu d'inspiration. Je les estime comme un
grand trésor, mon trésor, faisant d'eux mon secret
caché.
Et
après avoir terminé mon étude, je trace sur
un papier l'espace où sera reçu le texte choisi, tant
apprécié, dont je vais être l'interprète.
J'imagine le texte terminé, confortablement installé,
parfois illuminé, plus tard admiré, que je vais reproduire.
Et c'est ainsi que je commence la calligraphie au moyen de gestes
simples et engagés, sur le support, avec ma plume, dans la
lettre que j'ai imaginée pour lui. Mais quelle lettre est-ce
que je choisis à chaque création calligraphique ?
Je choisis la lettre qui répond à mon inspiration
du moment, la lettre exacte, dans la taille exacte ; la lettre qui
parle à mesure que mes mains recopient les mots, les phrases
entières. C'est pour moi une démarche spirituelle.
Je
crois en l'esprit et au spirituel !
Ma
création est un état d'esprit ! C'est vrai, mon travail
est conceptuel, spirituel, intellectuel, parfois sensuel, poétique
et souvent rempli de contrastes. Il est insignifiant pour certains
et intéressant pour d'autres. Pour moi en attendant, il est
mon "moi", ma meilleure forme d'expression, ma sensibilité
en éruption, mes idées en marche. Il est mon intimité
dénudée, la forme que je cherche à donner à
la vie, à l'esthétique du féminin, à
mes poésies. Le reste ce sont mes études pratiques
sur le monde, sur mes erreurs et réussites, ce sont les connaissances
que j'ai acquises par la culture humaine.
Je
suis un lecteur compulsif, un passionné de livres, d'histoire,
d'art, de communication, d'archéologie, de spirituel... connaître
les phénomènes de cette vie m'intéresse. Et
ces livres et disciplines dont je parle, m'accompagnent depuis ma
plus tendre enfance et ils ont aidé à solidifier ma
propre idée de la vie naturelle et spirituelle.
J'éprouve
une vénération particulière pour nos écritures
occidentales et les langues qu'elles représentent, vénération
pour la littérature et l'art sous toutes ses formes, pour
le pouvoir de création de l'être humain, pour la science
comme complément et non comme centre de toutes les réponses
- ce que certains aimeraient nous faire croire de nos jours.
Pour
en revenir aux livres, ce n'est pas seulement dans leurs pages que
j'apprends et ai appris, non, il y a aussi les gens. Je parle de
ceux que j'aime bien ou qui s'intéressent à moi, les
gens âgés aussi... enfin ceux que je considère
comme sages. J'apprends à travers leurs conseils ; je crois
qu'il est bon de donner et d'accepter des conseils. J'ai appris
auprès de tous les professionnels que j'ai connu qui ont
su partager et échanger avec moi leur savoir, leurs réflexions
et leurs expériences et m'ont ainsi aidé à
améliorer mes connaissances. Ils m'ont poussé à
faire des recherches, à construire certains projets ; ils
m'ont aidé à décider ce que je souhaitais faire
dans la vie d'une manière pratique. Tout cela me donne aujourd'hui
une autonomie, une autorité et une détermination dans
mes choix professionnels.
J'ai
appris à rêver et à désirer parfois un
monde culturellement élevé, plus humain, plus juste,
plus intelligent, plus poli et moins formaliste (on ne doit pas
confondre éducation et formalisme)... même quand l'ignorance
et la mauvaise volonté de certains tentent de me convaincre
- sans succès - d'abandonner mes rêves ; même
si j'ai l'impression parfois d'être utopiste et obsolète...
je rêve et je continue à rêver jusqu'à
aujourd'hui ! Je continue à rêver parce que je crois
(pour citer Ariano Suassuna) que la culture a des anticorps.
Et
c'est quand j'habitais en banlieue parisienne que j'appris - en
regardant les oiseaux qui se posaient sur ma fenêtre : libres,
contents, compagnons de chaque jour (une de mes sources d'inspiration)
- à voler par l'imagination, à oser, à m'aventurer
au plus intime de moi même, à la recherche de réponses
; à établir mon propre monde, à structurer
et renforcer mon petit atelier, avec pour compagnons les mots dont
l'écho retentissait dans l'air du printemps; des mots remplis
de force qui remplissaient mon âme de réponses, de
thèmes les plus variés, de réflexions, de thèses
quelquefois absurdes... Et pendant ces instants je pensais aux petits
êtres qui joyeux et malins, préparaient leurs nids.
Ces moments étaient pour moi magiques, je contemplais cette
scène comme quelque chose de parfait, d'extraordinaire, comme
un miracle de l'existence, sans savoir si je verrais à nouveau
un tel événement, tellement fantastique, tellement...
génial ! Alors j'arrêtais mon travail et je sortais
marcher un peu, dans les rues de la Garenne-Colombes, de Paris,
sur les places, jardin du Luxembourg ; prenant le RER, parfois le
train SNCF, le métro parisien, entrant dans les files et
couloirs humains qui se forment partout (cette éternelle
souffrance humaine) ; gare St Lazare, station les Halles... l'esprit
ailleurs, voyageant dans mes idées, dans ma façon
de voir le monde, passant inaperçu au milieu de la masse,
avec mon état d'esprit qui n'appartient qu'à moi.
Ecrire
c'est laisser une trace de soi.
Les
textes écrits fixent définitivement les réflexions
de l'homme, résultat de l'organisation et de l'association
d'idées qui en elles mêmes sont un mouvement purement
mental et dissocié de la matière. Ainsi, en transcrivant
les textes, je matérialise des réflexions humaines.
Je leur donne un corps physique et visible. Je les exécute
avec l'ambition de leur faire outrepasser les limites du temps car
une uvre d'art est faite pour durer.
Mes
uvres sont présentées par moi-même sur
une matière durable et permanente et constituent la préservation
de la connaissance, tout à fait comme une image ou un tableau
représentant le discours.
J'ai
un respect particulier pour le Libre Arbitre, principalement celui
des autres, et ceci constitue le premier de mes commandements dans
les relations humaines.
Nous
avons tous droit à l'amour, à la sexualité,
à la pudeur, à la liberté, à l'intimité,
au respect, à penser ce que nous voulons de tout et sur tout
; le droit de nous exprimer librement ; de croire ce que nous voulons
croire sans entraves, et également de ne rien croire de tout
ce que les autres nous présentent ; le droit de nous sentir
quelqu'un, de nous sentir désirés, d'avoir une valeur
propre, d'être vus, d'être connus ou inconnus de tous
; droit à la timidité ; droit d'exprimer notre plus
intime désir et de désirer l'autre que nous aimons
- corps et âme - avec le meilleur de nous même, sans
souffrir du jugement des tiers à cause de nos choix. Oui,
le droit d'exprimer tout ce qui se trouve en nous ; en notre cur,
dans notre entendement. Droit de croire en Dieu, d'être citoyen,
de défendre, de dépendre et d'être protégé
par l'Etat et droit d'être un homme libre de ses idées,
qui pense différemment des autres et de ce même Etat,
de pouvoir manifester cela ouvertement sans se sentir persécuté
; ou de partir ailleurs vers d'autres terres et d'autres cultures,
où l'on défend ces mêmes idées sans rencontrer
de barrières dans son voyage.
J'en
profite pour dénoncer ici l'abandon des plus faibles d'entre
nous qui vont à la ruine sans recevoir aucun soutien ; la
dispute des plus forts pour un monde qui devrait appartenir à
tous ; l'intolérance et l'indifférence devenues des
attitudes normales dans la société d'aujourd'hui ;
l'injustice sous l'apparence de la justice qui détruit la
foi de certains ; oui, je dénonce la guerre froide entre
des gens d'une même société, d'un même
peuple, d'un même cours, d'un même métier, d'une
même famille... dans une espèce de concurrence inhumaine
pressée et acharnée où chacun de nous veut
surpasser autrui pour acquérir les meilleurs places dans
son milieu, au travail, dans les groupes, dans le coeur des proches...
pour découvrir à la fin de nos vies que nous ne sommes
arrivés nulle part, que nous n'avons rien... que nous sommes
tous égaux ! Je me demande comment nous en sommes arrivé
jusque là ?! Ces choses me touchent profondément et
affectent mon art.
Je
me réalise dans mon travail et j'extériorise sur le
support tout ce que mon état d'esprit me fournit dans mes
moments d'inspiration. Ma calligraphie est mon instrument de travail
et c'est à elle que je consacre mon temps, ma discipline,
ma connaissance. A travers elle je donne forme à tout ce
que mon esprit entend par idéal et beau ; je fais cela des
dizaines de fois si nécessaire, dans un rituel incessant,
car cela me fait plaisir, cela me réalise, c'est cela mon
monde.
J'ai
appris à avancer seul, traçant ma route avec confiance,
en D.ieu, en moi, en mon travail et en l'avenir. Soyons rationnels,
personne n'a besoin d'anéantir l'art des autres pour exister
ou atteindre son succès personnel ! c'est le travail qui
nous donne la dignité et la reconnaissance méritées
dans cette courte vie, et au delà d'elle. Je travaille dur
! Tous les jours ! Avec discipline et espoir de voir avec le temps
le résultat de mon travail. Et en ce qui concerne le temps,
ce temps qui occupe mes journées, je l'utilise pour calligraphier,
réaliser mes oeuvres dans mon atelier, découvrir les
nouveaux livres dans les librairies où je passe: à
Paris, à Strasbourg, à Bruxelles... essayant d'apprendre,
de comprendre les vérités des autres, mettant en avant
les miennes, parfois, après tout qui détient la vérité
absolue ?
Et
pour continuer à parler de ce que je pense des positions
différentes de la mienne, je crois aussi à un monde
où les forces s'opposent, à la diversité culturelle
entre Orient et Occident - où les différences revendiquent
avec légitimité leurs droits.
Je
crois à l'attraction du clair et de l'obscur ; à la
nécessité absolue du contraste dans chaque chose,
parce que cette vie est faite de contrastes ; pleine d'oppositions
nécessaires. Je crois à la diversité des opinions
et que les différences sont importantes pour l'équilibre
de notre société et pour sa propre survie. De la même
façon que la nuit et le jour sont essentiels dans ce monde
où le clair et l'obscur cohabitent en équilibre. Et
c'est pour cela que j'utilise dans mes oeuvres le rouge : de l'amour,
des passions, de la vie ou comme représentation de la perte,
de luttes sanglantes et de tragédies, en opposition et équilibre
avec le noir : comme marque permanente des idées humaines
ou, parfois, des sentiments et situations obscurs.
L'artiste
est un être de tout temps, il se situe dans toutes les époques,
il est sensible à tous les changements autour de lui et contemple
toute l'humanité.
Je
vis avec mon temps et je tente de représenter mon travail
d'une manière actuelle, mais je ne suis pas prisonnier de
mon époque comme d'une bulle. Au contraire, j'apprivoise
le passé qui se présente à moi dans les couloirs
de l'histoire, décortiquant des réalités qui
sont vivantes et présentes encore aujourd'hui au milieu de
nous ; des modèles et des principes : politiques, culturels
et religieux, qui sont humains et universels ; qui firent ou font
partie des civilisations de tous les temps car ils sont comme des
miroirs qui reflètent une lumière sur notre monde
actuel, ouvrant des portes, nous aidant à régler notre
conduite, en consolidant nos valeurs, en structurant notre société,
en éternisant à travers des générations,
des concepts, des idées et des faits. J'ai aussi mes propres
concepts et je les expose dans mon travail avec les matériaux
dont je dispose aujourd'hui et de la façon la plus appropriée
et cohérente pour notre époque.
Je
ne sais pas tout, mais je veux tout savoir !
Et
comme notre langage a besoin d'être extériorisé
et fixé ; comme les cris de notre âme ainsi que nos
idées et passions ont besoin d'être vus et contemplés
par le monde extérieur, pour la satisfaction de l'esprit
humain; pourquoi ne pas travailler les signes qui représentent
et répondent à ce désir humain normal et juste
? C'est en cela que consiste mon travail de recherche et d'interprétation
d'ouvrages anciens: je représente les idées et aspirations
de l'âme de leurs auteurs à travers ces textes considérant
ce qui nous a été transmis comme quelque chose de
spirituel, qui communique avec notre esprit ; identifiant dans la
forme corporelle des caractères, l'esprit matérialisé
qui préserve en lui même le son et la force du message
conservé ; et ainsi je révèle avec ma plume
l'âme du texte, vif et parlant, mobile et présent,
qui communique à notre âme le sentiment spirituel de
ce qui nous a été légué.
Les
lettres, ces petits signes qui changent de contexte et d'idées
à chaque fois que cela devient nécessaire, qui nous
touchent tout au fond de nous mêmes avec des messages que
seul le cerveau ou le coeur peuvent déchiffrer ; se regroupant
pour former des syllabes, des mots, des phrases ; se transformant
en langues diverses, changeant de sens, nous révélant
des secrets, nous orientant et nous donnant droit à une réflexion
profonde sur nos désirs et la raison d'être ce que
nous sommes. Les lettres donnent un sens au sentiment, au cri, aux
larmes, aux sanglots, à la joie, à l'amour, au soulagement,
à ce qui est humain, à ce qui est légitime
en nous !
Ces
petites lettres magiques, pleines de personnalité, d'individualité
et de force d'expression, qui en prenant des formes différentes,
que ce soit Rustiques, Onciales, Carolines, Gothiques : primitives,
textures, rotondes, fraktur, flamandes ou bâtardes, nous donnent
la sensation de vivre un autre temps, une autre époque ;
de capturer l'histoire, de pouvoir faire partie d'elle. Des lettres
qui me fascinent à chaque sujet et que je cherche à
isoler pour leur donner une valeur adaptée à leur
individualité. Je pourrais les calligraphier et les représenter
jusqu'à mon dernier soupir. Cela serait un plaisir pour moi
!
Et
pour continuer à parler de ma calligraphie, de ce véhicule
qui me rend complice de l'histoire, elle est un outil que j'utilise
aussi pour réaffirmer mes convictions et croyances, que j'emploie
pour extérioriser et représenter mes concepts de manière
visuelle et artistique ; avec l'aide de textes que je considère
comme excellents. Elle est le recours dont je dispose et que j'utilise
pour partager avec qui aime mon travail tout ce que je m'efforce
de décrire. A travers ma calligraphie j'ai la certitude que
mon monde peut être divisé, contemplé, admiré
ou critiqué.
Dans
mon travail calligraphique, les lettres anciennes ne sont pas de
simples alphabets perdus, faisant partie du passé, des pièces
de musée, sujets de paléographie. Elles ont la valeur
qu'elles méritent, l'importance qu'elles doivent avoir.
Avec
ma plume en main, libérant délicatement l'encre sur
le support, les mots ressurgissent un à un, côte à
côte, laissant l'imagination être ma propre limite,
la frontière qui me dit où m'arrêter. Mais dès
que ce travail est terminé, je passe à un autre, car
il y a pour moi urgence dans l'instant ; dans cet instant complètement
possédé par l'inspiration qui m'emplit tout entier.
J'ai besoin de cela, c'est pour moi comme respirer, c'est un vice
qui alimente mon âme. J'ai besoin de l'urgence du "maintenant",
de l'inspiration qui exige une pleine satisfaction, un résultat
; besoin de cette inspiration qui comprend les gémissements
les plus intimes de mon désir de créer et me domine,
qui, dans le silence le plus intense où tous dorment, me
réveille et me présente une autre version de la même
idée, une autre conception de la forme à extérioriser
ou une simple observation pour dénoncer les erreurs que je
commets. Je dirais encore que la calligraphie est le moyen par lequel
certains de mes désirs s'expriment, je me délivre
à travers elle, je m'exprime, je propose, j'expose, j'enquête,
je questionne, je réfute, j'acquiesce... et des dizaines
d'adjectifs mélangés à des verbes rempliraient
des pages entières pour parler de cet art qui a un espace
spécial dans ma vie.
Et
pour mieux voir une de mes oeuvres calligraphiques, il est nécessaire
de s'éloigner des apparences, du présent, de la mécanisation
contemporaine de notre alphabet. Eviter les comparaisons. Voir l'ensemble,
le tout, comme une unité inséparable, voir ses formes,
comprendre son contenu de manière spirituelle, la voir avec
des yeux sensibles et tranquilles. Il faut se situer entre le passé
et la conservation des idées, qui n'est pas toujours bien
appréciée par notre génération qui aime
tout changer, qui est obsédée par le jetable... Pour
comprendre mes oeuvres il est nécessaire d'adopter les mêmes
valeurs que ceux qui n'ont pas pour ennemi le temps... Il est nécessaire
d'aimer les lettres, l'écriture, la plume, le calame, l'histoire,
le temps...
Lorsque
je suis inspiré, je ne connais plus mes limites et, plein
d'imagination je commence à ébaucher, à tracer
avec ma plume, pour me réaliser dans la création.
Mais
dans mon travail je n'invoque pas seulement les textes ; l'histoire
et la littérature ; les légendes et les faits ; les
croyances et les manifestes... Dans mon travail j'ai aussi un espace
réservé à la représentation du corps,
spécialement le corps féminin avec ses belles courbes
parfaites, qui est une des formes de la beauté qui donne
du plaisir à l'esprit humain. Et d'ailleurs, pourquoi ne
me souviendrais-je pas de la femme dans mes calligraphies ? La femme
qui change le cours de l'histoire quand elle le désire ?
Qui avec des gestes tendres, délicats, pleins de grâce
et de séduction, rend le monde plus parfumé, la beauté
essentielle, les hommes ambassadeurs de paix ou conquistadors implacables.
Je les représente dans mon travail avec la même émotion
que me causent les autres thèmes qui m'inspirent. Je transcris
sur le support leurs gestes enchanteurs, féminins et majestueux
qu'il n'est donné qu'à elles seules le droit de posséder,
je les représente avec l'originalité féminine
dont sont privés les autres êtres. Ce sont des femmes
sans visages, sans condition sociale, sans niveau d'étude,
sans profession... sans que rien de tout cela n'ait d'importance.
Elles sont imaginaires, sensuelles, belles à mes yeux. Grosses
ou maigres, grandes ou petites, elles sont dans mes créations
comme la représentation du beau, comme l'extériorisation
de l'aspect fascinant de l'esprit humain, comme moteur d'inspiration
pour ceux qui désirent l'amour, car sans cette image de femme,
ainsi, consciente du pouvoir qu'elle libère, il ne peut exister
d'amour, de poésie, de désir, de conquête, d'enchantement,
de romance, de sens ni de raison à la vie d'un homme. C'est
de cela aussi que parlent les poèmes que j'écris et
qui les accompagnent.
Mon
amour des grandes idées, des idéaux, de la femme,
de la sensualité, des contrastes, de ce qui est manuel, de
l'intellect ; de l'être humain ; de ce qui est légitime
et juste, des passions ardentes ; de l'opposition positive ; d'un
monde meilleur, constitue la matière première d'où
j'extrais le contenu nécessaire pour donner forme à
ce que je prétends montrer dans la représentation
conceptuelle signifiée par mon travail.
Cet
art qui est pour moi comme un véhicule par lequel je dirige
mes idées, où je laisse couler mon inspiration, mes
sentiments - parfois inquiets, mélancoliques, pleins d'espoir,
contradictoires, passionnés, amants, firmes, rigoureux, pêcheurs,
curieux, admirateur - par où j'exprime mes sentiments en
relation à la représentation du monde extérieur
autour de moi, devant moi. Cet art où la main ferme et libre
je donne la forme que je veux à la femme ou au sujet que
je contemple et admire ; à travers le trait, à travers
les couleurs.
Et
je ne pourrais pas terminer ce texte sans parler auparavant de la
plume patiente qui me sert, qui m'accompagne, qui m'obéit
silencieusement et qui ne se fatigue pas de tout recommencer à
chaque fois que mes yeux disent ne pas aimer le résultat;
sans parler de la détermination de cette plume à me
suivre dans les mouvements les plus variés à la recherche
de la perfection, de l'équilibre, de l'harmonie, de la symétrie,
de ce qui est correct, aligné, cohérent, beau, idéal,
conceptuel, esthétique, profond, sensible, légitime
! Donnant forme partout où elle passe à tout ce que
mon imagination conçoit ; réalisant des lettres, les
plus belles pour moi...
Je
prends la plume, je choisis un alphabet, je charge la plume d'encre,
je sens la plume, je déplace la plume, je trace avec la plume,
je fais des cercles avec la plume sur le support, je regarde l'épaisseur
du trait de plume, je monte avec la plume, je descends, je trace
à droite, je trace à gauche, je m'arrête, je
continue, je retourne en rythmes élégants, j'imagine,
je m'exprime, je danse un ballet au travers des traits réguliers,
je change de couleur d'encre, de plume, de lettre, je change la
direction en traits irréguliers, en traits contraires, je
sens la musique invisible que l'harmonie des lettres créent,
je m'arrête, je relâche le bras, je lis à nouveau
le texte que je transcris, j'analyse en silence, je le comprends,
je le conteste ou lui donne mon accord, je le compare avec le texte
calligraphié, je recommence, je prends la plume, j'invente,
je crée, je me trompe, je m'arrête, je recommence,
je m'arrête, je repose encore une fois la plume, je regarde
l'espace infini du support, je lève les yeux, je contemple
le vide autour de moi, je pense, j'imagine, je me transpose dans
un autre monde, je reviens, je calcule, je décide, j'ose
je prends à nouveau la plume, je choisis un alphabet, je
regarde l'épaisseur du trait de plume, je déplace
la plume, je trace avec la plume
De
la Rustique à la Bâtarde... je trouve que sentir le
mouvement délicat et envoûtant de la plume est un moment
magique, définitif et unique, où je peux exprimer
et reproduire - avec ma touche personnelle, avec liberté,
passion et affection - tout ce qui fait partie de ma créativité.
Ce
sont là quelques unes des nombreuses raisons de mon travail
; quelques unes des idées qui inspirent sa réalisation.
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